Reportage 

III° Festival Larachi Flamenca
Rubios y Morenos


Pour sa III° édition, Larachi Flamenca nous a réservé d'excellentes surprises. Comme chaque année, ce festival qui se déroule sur deux soirées consécutives dans les chaleureux locaux de La Maison des Cultures du Monde, permet de découvrir de jeunes et talentueux artistes de la scène sévillane, un concept intéressant et de qualité.

C'est avec un très beau plateau que débute le festival vendredi 28 Novembre. Les artistes, tous originaires ou vivant à Séville semblent très bien se connaître. En effet, ils se retrouvent régulièrement sur la scène des tablaos de la capitale andalouse et l'on sent une réelle complicité entre eux. Pourtant ce n'est pas à un spectacle de tablao transposé à Paris, mais plutôt à un rare moment de flamenco auquel assiste le public parisien ce soir-là.

Ce soir les deux danseurs sont blonds. Les autres artistes lancent d'ailleurs des "rubio" et "rubia" pour les encourager lors de leurs prestations respectives.

Il y a tout d'abord Hugo Sanchez, dont le style est si personnel et original qu'il ne ressemble à aucun autre, et ce que l'on retient avant tout de ce danseur ce sont ses tours amples, créatifs et magistralement exécutés. Une marque de fabrique qui cependant a bien failli lui coûter cher car, de source sévillane, il aurait été immobilisé durant plusieurs mois pour des problèmes de dos. Tours à pratiquer avec modération donc...

La 2ème "blonde" de la soirée, c'est Marina Valiente. Sur scène depuis l'âge de 3 ans, celle qui a été formée entre autres par la famille Galvan joue à fond la carte de la séduction, que ce soit par des envolées de jupons dépassant les limites tacitement autorisées par la pudeur ou bien par des postures aguicheuses. Un caractère bien trempé et un tempérament provocant, mais qui finalement font passer l'art au second plan, dommage. Plaisant mais too much.

Si l'on pouvait décrire LA voix flamenca, ce serait celle d'Inma La Carbonera. La chanteuse de Séville a en effet ce timbre rauque si caractéristique qui plaît tant aux aficionados. Une artiste à suivre de près.

On connaissait déjà Ismael Fernandez, chanteur de la compagnie Maria Pages avec Ana Ramon, et le guitariste Juan Campallo, présent au Festival de Jerez l'an dernier. Juan, qui a coupé ses long cheveux bruns est d'ailleurs méconnaissable.

Réunir tous ces artistes était un challenge, et il est réussi.

Au niveau de la danse tout d'abord : verdiales et guajira en duo, siguiriya pour Hugo, cantiñas pour Marina...chacun impose son style. Pari réussi également au niveau de la musique : Juan Campallo n'a pas quitté la scène de tout le spectacle, et son solo por granaina a été très applaudi par le public.

Mais ce qui nous a le plus séduits ce soir-là fut le chant. Celui d'Ismael Fernandez bien sûr : des chants des mines aux alegrias en passant par la siguiriya, l'artiste confirme un talent déjà bien établi. Alors pour nous la véritable révélation du spectacle fut Inma la Carbonera. Grâce à sa voix mais aussi à un judicieux choix de letras, elle a beaucoup touché les spectateurs. Même si elle ne fit qu'une seule intervention en solo au cours du spectacle, ce fut un des moments marquants de la soirée. Son interprétation du tientos de Chacon fût tout simplement magique. Elle inversa même les paroles de certains tercios, rompant ainsi la monotonie de la letra. Par exemple, lors du premier passage elle dit "que mentira me parece", puis lors du second "que me parece mentira". Voulu ou non, ce détail donna un petit plus à son interprétation. Le cambio por tangos se fit en douceur et Inma chanta une longue série de tangos, dont le traditionnel "Triana".

Au total un spectacle très équilibré et de grande qualité, où chacun eut l'occasion d'exprimer sa personnalité. Le public était si enthousiaste à l'issue de la représentation qu'il y eut trois rappels.

Le deuxième soir on pouvait croiser dans le public de nombreux aficionados, dont certains déjà présents la veille au soir, et même des professeurs de danse flamenca comme Soledad ou Patricio Martin.

Là encore le plateau est de qualité. Il s'agit d'un spectacle de même format que la veille : deux chanteurs, deux danseurs et un guitariste. L'absence d'instrument percussif lors des deux soirées fut habilement remplacée par les palmas des chanteurs.

Côté danse, en opposition avec l'équipe de la veille, ce sont deux danseurs bruns ("morenos"). Lola Jaramillo et Jesus Herrera donnent d'emblée le ton de la soirée en entamant le spectacle par une solea por buleria enflammée. La colombiana instrumentale de José Manuel Tudela (déjà vu aux côtés de Juan Polvillo) fait office d'intermède, avant LA révélation de soirée.

Hier c'était le cante qui nous avait marqués, aujourd'hui c'est le baile, et en particulier un interprète : Jesus Herrera. "El Baile Flamenco por derecho" est-il indiqué sur son site internet. Et c'est bien un flamenco exécuté dans les règles de l'art qu'il nous livre ce soir-là. Fort et intérieur, son art est pur, intense, parfois explosif lorsqu'il se met soudain à marteler le sol. Bien que d'origine basque (l'héritage de Pilar Lopez est entre de bonnes mains), le flamenco de Jesus Herrera fait très gitan. Il déploie une énergie incroyable sur ses solos, notamment lors d'une captivante farruca instrumentale, un style qui lui va à ravir tant sa haute stature rappelle celle d'Antonio Gades. Sa complicité avec le guitariste est immence, et comme Hugo la veille, Jesus réalise aussi une impressionnante série de tours. La solea qu'il interprète plus tard est un moment peut-être encore plus fort, l'excellent cante de Moi de Moron sur ce palo donnant une dimension supplémentaire au propos. Lors du passage en buleria, Jesus se retrouve totalement en déséquilibre à deux reprises et se rattrape in-extremis, suscitant l'émoi dans la salle, mais tout celà est voulu bien sûr, quelle maîtrise du poids du corps !

Le chant n'est pas en reste, mais la fameuse saeta de Machado interprétée à deux voix par El Trini et Moi de Moron nous laisse sur notre faim car elle se termine prématurément. Dommage car le duo de voix des deux chanteurs était un véritable moment de grâce. Les deux protagonistes interprètent aussi une longue série de tangos, dont un tientos de Cadiz au rythme de tangos ("en aquel pocito inmediato"), ou la première letra de la salvaora de Caracol, qui est à l'origine une zambra.

Lola Jaramillo quant à elle a choisit de nous faire découvrir l'école de Séville. C'est donc en bata de cola blanche à pois rouge et manton rouge qu'elle interprète une alegria. Bien que ce palo ne soit pas son favori, Lola maîtrise son sujet avec élégance.

Le duo de fin por taranto du couple de danseurs est empreint d'une belle complicité. Le couple sur scène l'est en effet aussi à la ville.

Au final, ce ne sont pas pas ceux dont le nom était écrit en gras sur l'affiche qui nous ont le plus touchés, mais cette troisième édition de Larachi Flamenca a sans conteste été un très grand cru, rendez-vous est pris pour l'an prochain.

A noter : du 3 Mars au 12 Avril 2009, la Maison des Cultures du Monde participera comme chaque année au Festival de l'Imaginaire consacré aux musiques du monde qui se déroule dans divers lieux de la capitale. Pas de flamenco au programme, mais la présence de l'ensemble argentin "Fronteras del Silencio", et la participation exceptionnelle de la chanteuse de ladino Françoise Atlan le 13 Mars 2009, une artiste rare à ne manquer sous aucun prétexte.


Remerciements à Armelle Gaulier de la Maison des Cultures du Monde.

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Sevillanes.net - Murielle Timsit - Le 30/11/2008
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