L'interview de la semaine 


La China et Gabriel Da Rocha
L'enseignement d'un flamenco unique et authentique


Bonjour China et Gabriel. Aujourd'hui nous réalisons cette interview pour célébrer le quinzième anniversaire de la venue à Paris de La China pour donner des stages, et apprendre à mieux vous connaître tous les deux.

China, quand on lit ta biographie sur ton site web, elle commence à l'âge de 15 ans, mais elle ne dit pas d'où tu viens ni pourquoi on t'appelle La China, tu es un véritable mystère : ton nom sonne italien, ton prénom russe...

Ca sonne italianissime ! Je viens d'une famille italienne, mon père et ma mère étaient des immigrés italiens en Argentine. Gabriel ajoute que l'argentine est composée d'immigrés italiens et d'espagnols. La China précise que les italiens représentent 40% de l'Argentine.
C'est un guitariste très connu des années soixante-dix qui m'a baptisée "La China": il s'appelait ESTEBAN DE SANLUCAR, c'était un grand concertiste. C'est l'auteur de plusieurs compositions de Paco de Lucia. Il m'a connue très jeune, j'avais 14 ou 15 ans, et China en Argentine, c'est le nom que l'on donnait aux gens des champs, qui portaient des tresses, et il m'a donné ce surnom de Chinita par amitié. On m'a aussi baptisée ainsi parce que le père d'Adrian on l'appelait "El Chino".

Gabriel, comment t'es venue l'idée d'organiser ces stages avec La China ?

L'idée est très simple. C'est lorsque j'ai commencé à me consacrer véritablement au flamenco. Parce qu'avant j'avais pratiqué d'autres danses : j'ai commencé avec le classique espagnol, le tango argentin, le french-cancan, la danse russe, la danse yéménite. La danse espagnole m'a toujours plu, et c'est entre autre dû à mon amour pour mon premier professeur de danse, Lia Nanni, avec qui j'ai commencé à l'âge de quatorze ans. J'adorais l'artiste, le professeur, l'être humain et l'amie qu'elle est vite devenue, elle était comme mon mentor. Elle m'a beaucoup appris. Quand j'ai décidé de me spécialiser dans le flamenco, j'ai commencé à prendre des cours avec les gens d'ici, comme Lita Peiro, une très bonne maestra, qui est ensuite partie à Montpellier. Avec Patricio Martin je restais un peu sur ma faim, je sentais qu'il y avait autre chose de plus fort et que je devais aller plus loin. J'avais une amie qui était comme ma soeur, qui était également une amie de la China, et qui s'appellait Juncal. Juncal prenait des cours avec la China à Madrid. J'ai pris n'importe quel travail pour gagner un peu d'argent et je suis allé là-bas. Quand Juncal m'a présenté La China j'ai senti quelquechose de magique, comme si je l'avais connue dans une autre vie, j'ai senti une chose très forte, dès la première fois qu'on s'est vus, c'était une autre mère. Le jour suivant on était déjà amis. A partir de ce jour, j'ai passé le plus de temps possible à apprendre d'elle et être avec elle.

Lorsque j'ai fait venir La China à Paris, mon idée, et c'est toujours ce que je cherche à faire aujourd'hui, c'était pour partager ce que j'avais appris d'elle avec le peu d'élèves que j'avais à l'époque. La première fois que la China est venue à Paris c'était un stage pour les professionnels, il y avait tout le pays à ce stage : Valerie Ortiz, Antonio, Patricio, Marisol, Herminia, Sophie...Ca a commencé comme ça.

China, tu vis maintenant à Séville et Gabriel ici à Paris, comment fais-tu pour que ta pédagogie et tes chorépgraphies correspondent si bien à ce que nous savons faire ?

En fait je devine les bases que vous devez avoir car vous les avez apprises avec Gabriel, et Gabriel a été mon élève, donc vous avez les mêmes bases, nous communiquons avec Gabriel, mais pas tant que ça à ce sujet. Desfois on n'a même pas besoin de parler pour se comprendre, mais on s'appelle tous les jours quand-même ! confie La China en riant.

Comment travaillez-vous ensemble pour que ce travail soit un travail suivi depuis 15 ans ?

Comme je viens de te dire, on communique beaucoup. Et bien sur c'est un travail suivi et progressif, je ne pourrais pas continuer à venir sans avancer.

Gabriel, ta pédagogie est très spéciale, par exemple tu utilises beaucoup de métaphores et de paroles fortes pour que les élèves comprennent. Tu as été toi-même l'élève de La China, ta pedagogie s'inspire-t-elle de celle de La China ou non ?

La China ajoute que Gabriel est le seul à le faire (ndlr : le seul à utiliser des métaphores et des paroles fortes).

Oui et non. Oui dans le sens où je travaille les choses de façon très précise et avec la volonté de ne pas tromper les élèves, ne pas les faire bouger, enfiler un costume et faire une chorégraphie en leur faisant croire qu'ils savent danser. Pour moi le plus important est de construire un danseur, pas de monter une chorégraphie. C'est pour celà que la technique est si importante. Ensuite seulement on peut monter une chorégraphie. La plupart des élèves ont un corps adulte, chacun a des facilités pour certaines choses, des difficultés pour d'autres, certains n'ont jamais fait de danse ni de sport et c'est difficile. Dans le flamenco, les appuis et le rapport au sol sont des choses très compliquées. Dans le flamenco, la perception du sol est la première chose que l'on doit enseigner, tant pour marquer que pour taper. J'emploie beaucoup de métaphores car par exemple si à la fin du cours un des élèves n'a pas compris quelquechose ça me rend malade. Je me prends la tête pour trouver des moyens de transmettre les choses. Avec ces métaphores et paroles fortes, je veux rompre le côté intellectuel du baile, car ça doit passer par le corps, et pour moi c'est très important que l'élève sente dans son corps ce que son maestro veut lui faire sentir. Et ensuite seulement, il peut cérébraliser ce qu'il a appris avec le corps.

La China intervient en affirmant que ce qui l'intéresse ce n'est pas que 4 personnes seulement apprennent ce qu'elle enseigne, mais que tout le monde le sache, puis ajoute que les bases de Gabriel sont les siennes, mais que sa créativité est LA sienne.

China, as-tu d'autres élèves qui sont devenus professeurs comme Gabriel ?

Il y en a très peu qui s'investissent autant que lui, si il y en quelques uns, mais dans d'autres pays, mais très très peu.

On remarque tu es très attentive à la musique, à l'harmonie et au chant dans tes chorégraphies, tu fais attention à ce que le bruit des pas ne couvre pas la musique et le chant ; es-tu musicienne ou as-tu appris la musique ?

Lorsque j'ai appris la musique au conservatoire, je savais à peine parler, j'y suis entrée à l'âge de trois ans. J'ai étudié toutes les matières qu'il y avait au conservatoire, dont le solfège, le piano, le chant. Quand j'ai eu dix ans, j'avais déjà décidé ce que j'allais faire, j'avais un très bon niveau en danse classique, mais je me suis battue pour tracer le chemin que j'avais choisi.

Tes chorégraphies portent les élèves, d'où te vient ton inspiration ?

Comment je pourrais te dire...Tout le monde adore le soleil, moi c'est plutôt l'automne. Je suis heureuse en Automne, c'est le moment où je suis la plus créatrive. Je suis heureuse lorsqu'il pleut..Pour moi la saison qui me touche le plus c'est l'automne, j'aime les jours gris, la pluie..ça me rappelle ma terre.

Mais la créativité, elle vient ou pas, c'est quelquechose qui vient de la personnalité, de l'être humain.

J'ai vu en trois cours avec toi que tu avais choisi deux fois des fandangos et des alegrias, ce sont tes palos préférés ?

Ah oui, c'est vrai, mais pour le fandango c'était un fandango de Huelva avec Verdiales, donc ça n'a rien à voir. Non, mon palo préféré c'est la solea.

Tes deux enfants Cristina Martos et Adrian Galia, sont de grands danseurs, qui ont chacun leur propre style. Et tes petits-enfants, penses-tu qu'ils vont aussi devenir danseurs ?

Ah non, je ne crois pas...Les petits-enfants non...par exemple ma petite fille la plus grande qui a 11 ans et va sur ses douze ans, la fille d'Adrian, je crois qu'elle n'aime pas ça..

Mais celà ne veut rien dire tu sais, par exemple Adrian, il était comme sa fille au même âge, il ne m'a jamais demandé de lui apprendre à danser. Il a appris en cachette, il est resté une saison avec son père, et il disait à son père qu'il allait faire un tour, et se rendait en bicyclette sur le lieu de travail de son père qui était danseur aussi. Il prenait les affaires de danse de son père et s'entraînait tous les soirs. Jusqu'au jour où son père arriva sur son lieu de travail et trouva ses affaires mouillées et il découvrit que c'était son fils. Il l'emmena donc étudier à Madrid avec les plus grands maîtres, comme Ciro, Maria Magdalena...je ne l'ai jamais su car il ne m'a jamais rien dit ! Ca pourrait se passer comme ça pour ma petite fille Alba, mais jusqu'à présent, elle n'a jamais voulu danser.

Christina, par contre, m'a vu enseigner au Venezuela, a commencé à l'âge de 4 ans, c'est elle qui a voulu apprendre, et elle apprenait tout très vite, en un clin d'oeil ! Elle allait dans une classe et changeait vite car elle commençait rapidement à s'ennuyer.

Et toi, avec qui as-tu appris le flamenco en Argentine ? Avais-tu appris d'autres types de danses avant ? Quand et comment as-tu décidé d'aller vivre en Espagne ?

Ma mère m'a inscrite au conservatoire à l'âge de trois ans. J'ai fait treize ans de danse classique, d'école bolera, de classique espagnol...
Je me suis initiée au flamenco avec deux danseurs, en Argentine, qui m'ont donné toutes les bases, et m'ont enseigné toute la technique que j'ai aujourd'hui. J'étudiais pendant sept heures par jour. l'un fut le père de mon fils Adrian, qui m'a emmenée danser au Teatro Avenida de Buenos Aires lorsque j'avais 15 ans. J'ai eu des bases très bonnes, très solides, en Argentine on dansait très bien le flamenco à cette époque, on l'étudiait beaucoup.
J'ai commencé à aller en Espagne à partir de 1966, et m'y suis installée plus tard. Quand tu danses déjà professionnellement, c'est une obligation d'aller là-bas. Tout ce que j'ai appris techniquement, cependant, fut en dehors d'Espagne, en fait ce que j'avais appris en Argentine a muri en Espagne.

Comment as-tu découvert le flamenco ?

La China dit que c'est une question très importante.
Quand j'avais dix ans, une personne qui s'occupait d'un programme télé cherchait des personnes qui dansaient le flamenco, flamenco entre guillemets, car en fait il s'agissait de sevillanas. Je les avais apprises mais au niveau académique.
Le flamenco s'est révélé à moi lorsque j'ai entendu une guitare. Ils nous avaient envoyé un guitariste pour nous entraîner à danser pour l'émission, et tout vient de là. Celà me plaisait comme si j'avais attendu celà toute ma vie, et je savais qu'il y avait beaucoup plus. Et à partir de ce moment, mon chemin a été celui-là.

Qui pour toi se démarque dans la nouvelle génération de danseurs et danseuses ?

Ce n'est pas forcément la technique qui me touche, c'est ce que le danseur transmet, mais je ne peux pas te dire lequel est le meilleur. J'ai vu des gens tellement bons danser dans ma vie...Cependant je peux te citer le nom d'un danseur qui à été une référence pour moi, et cette référence, c'était MANUEL SOLER. Beaucoup de gens demandent "Mais qui est Manuel Soler", car ils ne l'ont jamais vu danser. Moi je l'ai vu danser et j'adorais son baile. Il y a beaucoup de gens qui dansent bien mais qui ne transmettent pas ce qu'ils devraient. Si je devais retenir quelqu'un ça serait EVA LA YERBABUENA, et ensuite, au même niveau quelqu'un qui s'appelle CHRISTINA MARTOS (Ndlr : la fille de La China). D'habitude je ne parle pas de ce genre de choses. Et Adrian, mais tu sais déjà qui c'est bien sur.

Pourquoi as-tu quitté Amor de Dios et Madrid pour aller vivre à Séville après tant d'années ?

Parce qu'Amor de Dios n'est plus ce qu'il était, simplement pour ça. Mais je préfère me taire car ce sujet me rend triste.

Tu as consacré ta vie entière au flamenco, tu donnes des stages à travers le monde entier, as-tu le projet de créer ton académie de baile ?

Oui, j'ai consacré totalement ma vie au flamenco ! Et à l'enseignement bien sûr ! Créer mon academie de baile ? je ne sais pas...il peut se passer tellement de choses. En tout cas je commence à donner des cours à Séville à partir du 4 Juin.

As-tu une autre passion que le flamenco ?

Je pense que si je n'avais pas été danseuse, j'aurais été vétérinaire, car j'aime les animaux par dessus tout.

Que préparez-vous pour le stage à Séville en Août ?

Gabriel répond
Le stage sera beaucoup plus complet que l'année précédente, au niveau de ce que l'on appelle l'enseignement de la tradition flamenca, et le flamenco d'aujourd'hui. J'ai le projet d'essayer d'avoir des aides, comme celle que j'ai de ta part, et je t'en remercie. J'aimerais trouver un moyen de donner des stages gratuits pour les gens qui n'ont pas d'argent. Le flamenco ne peut pas être commercial, on ne peut pas vendre des pas, il faut tenir compte du corps du chacun pour que les élèves ne se fassent pas mal au dos, au genou, les prévenir de tout ça. Le flamenco est une manière d'être, et aujourd'hui on associe le flamenco à la saoulerie, à la drogue, et pour moi ça n'a jamais été celà. Le flamenco c'est partager, pour moi c'est quelquechose de très important. Ma raison de vivre c'est le partage, si je ne partage pas, ça ne sert à rien.

Tout au long de la conversation, La China hoche la tête en disant "claro, yo soy igual".

Merci à La China et à Gabriel d'avoir pris le temps de répondre à nos questions. Merci à Marie-Rose qui m'a suggéré les questions 6 à 8 et m'a aidée à me rappeler des autres questions qui étaient dans mon ordinateur en panne la veille de l'interview :-)


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Sevillanes.net - Murielle Timsit - Le 20/04/2007